JAMES BLAGDEN

Les Yeux De La Pop

 

Leader d’une nouvelle génération de dessinateurs commerciaux qui ne se contentent plus des publications, James Blagden est un nom que l’on voit partout en ce moment. Des publications pointues aux marques de streetwear, l’illustrateur New-Yorkais en est aujourd’hui arrivé à illustrer des films et autres documentaires. 

Interviews avec l’un des trublions du dessin. Un individu plus qu’intéressant qui s’est retrouvé à Sundance en ne suivant que ses passions et ses amis, mais qui a un regard extrêmement lucide sur la société dans laquelle il vit.

 

Qui est James Blagden? Présente-toi aux lecteurs de Clark? 

Je m’appelle James Blagden, j'ai 28 ans, je suis né à Denver, la capitale du Colorado, où j'ai grandi avec mes parents divorcés et ma sœur aînée. Ma mère est juive Russe d’origine, mon père est anglo-irlandais, épiscopalien. Ma sœur et moi avons partagé notre enfance entre leurs deux maisons. 

Après le lycée, j'ai déménagé à New York pour poursuivre une vie d'artiste. Je suis entré à la School of Visual Arts et me suis spécialisé en illustration. Je voulais être un véritable artiste, mais il me semblait que l’illustration était plus susceptible de me procurer du travail. J’ai fini par travailler comme illustrateur... 

 

Quel est l’attrait de New York lorsque l’on est artiste ? Est-ce la possibilité de se déplacer librement autour de weirdos ou était-ce juste une preuve que l’on doit être là pour faire son truc correctement? 

En fait, déjà très jeune, je voulais être à New York. Je me souviens très clairement ressentir une affinité pour la ville et son magnétisme quand j'étais gamin. Aussi longtemps que je me souvienne, j'imaginais que je vivrais dans cette ville. C'était ma planète Krypton. 

Par contre, Denver est un excellent endroit pour grandir. Elle m'a donné une certaine perspective, que je n'aurais pas eue si j’avais grandi à New York. L'Ouest est un univers différent. Il y a de la terre, un type de weirdos assez propres: les « burnouts » qui ont échappé à la vie sur la côte Est et qui se sont installés dans les Rocheuses, les descendants des chercheurs d’or et des hors la loi, les agriculteurs, les personnes de passage. On les ressent là-bas, même dans la ville. Bien sûr,  le rythme y est plus lent. Et la ville n'est pas connue pour sa scène artistique. 

 

Tu crées des pièces assez accrocheuses et colorées mais qui ne sont pas nécessairement optimistes. As-tu comme programme de critiquer les tensions raciales en Amérique? Est-ce que l'élection d'Obama a changé ton travail? 

J'ai un point de vue. Je suppose aussi que j'ai un programme - la couleur et l'identité raciale sont des thèmes prédominants de la vie américaine, bien sûr. Certains peuvent être plus sensibles à leurs ramifications que d'autres, mais il est presque impossible d'y échapper, peu importe où et qui vous êtes. Tout le monde traite le sujet différemment, certains ne savent probablement même pas qu'ils le font. Mais si tu t’intéresses à la sociologie, tu te rends compte que l'identité raciale est aussi primaire que la lutte des classes. 

J'ai toujours été intéressé par les implications des choix politiques des gens. Les modes de vie individuels et la manière dont une personne s’inclut, à la fois par des décisions conscientes et inconscientes, dans une conscience collective. Les Noirs et les Blancs sont à deux extrêmes de la conscience culturelle en Amérique. 

Vous voyez à la fois la fracture et les ponts dans la culture populaire. En matière de musique, de sport, de mode, à la télévision, dans les médias en général - tout reflète le caractère instable des relations raciales en Amérique aujourd'hui, sur les 40 dernières années ... voire des 400 dernières années. C'est quelque chose que nous ne reconnaissons pas toujours, ou peut-être ne tient-on pas à remarquer. On voit que lorsque l'attention est attirée sur les disparités raciales dans l'art; comme avec Spike Lee il y a 20 ans, par exemple, pour "Do The Right Thing". Certains ont rejeté l'attention en la traitant d'exploitation ou en la jugeant inflammatoire. Je ne suis pas du tout d’accord. Je vois ça comme absolument nécessaire. Il y a, bien sûr, des moyens plus ou moins efficaces d'explorer les tensions raciales, mais mieux vaut explorer que pas du tout. Il est important que nous réfléchissions. J'imagine l'Amérique comme une grande famille, dysfonctionnelle, et ayant un besoin désespéré de thérapie. 

La conscience collective est endommagée. Je pense que l’election d'Obama aura un effet psychologique progressiste sur l'Amérique - elle sera évidente pour les générations à venir. Mais en tant que civilisation, nous avons un long chemin pour aller vers un semblant de lumière - et malheureusement, c'est généralement un pas en avant, deux pas en arrière. Nous avons beaucoup de promotion à faire pour les relations entre humains. Mais c'est uniquement si nous voulons vraiment de la compréhension, si nous voulons la paix. Mais beaucoup s’en foutent. 

Donc je suppose que si j'ai un programme politique, c'est de promouvoir la curiosité, la créativité et la réflexion honnête - à la fois en tant qu’individus et comme communauté. C’est drôle parce que, dans mon travail, j'ai à peine commencé à gratter la surface. Je n'ai juste pas assez de travail personnel. Je développe très lentement, mais ça vient. C'est cool pour moi que vous ayiez remarqué ça. 

 

Il y a une évidente influence du hip-hop et du sport dans votre esthétique. Qu'est-ce qui t’inspire en tant qu'artiste ou plus simplement en tant qu'individu? 

Je me le demande moi-même. Est-ce que ces choses sont réellement sources d’inspiration pour moi, et s'il en résulte que je vois directement leur influence dans mon travail, ou si ce sont tout simplement des thèmes sur lesquels j’ai été focalisés au cours de ma courte carrière d'illustrateur. Je sais que je vais me pencher sur ce genre de choses de la même manière que je pense à tous mes dessins de skateboard fait au collège. 

La plupart de ces pièces ont été commandées. Je pense que ça marche parce que j'ai une véritable appréciation du sport et du hip-hop: les relations sociales compliquées et la langage visuel passionnant de la Pop culture. C’est une combinaison efficace. Habituellement, je réponds de manière personnelle à des personnages ou à une histoire. Le sport et la musique sont des sources riches aussi bien au niveau des personnages et pour la structure narrative. C’est donc plus cette dynamique-là qui est importante pour moi, que l'action en sport ou le son du hip-hop. Mais je présume qu’ils font aussi partie du mélange. 

 

En parlant de sport et de hip-hop, vous avez eu pas mal de réussite en collaborant avec des marques telles que No Mas sur des habits puis nsur des courts métrages (Dock Ellis puis James Brown). Félicitations pour vos nominations à Sundance, d’ailleurs! Est-ce que les films d'animation sont la prochaine étape pour toi? 

Merci pour les félicitations! Le court-métrage sur Dock Ellis à vu le jour grâce à ma relation avec Chris Isenberg de No Mas. Nous nous sommes rencontrés en 2005 lorsqu’il travaillait avec mon ami Mickey Duzyj sur un projet concernant la vie de Mike Tyson. Après le succès de cette collaboration, Mickey m'a présenté à Isenberg. J'ai contribué à un numéro de Frank 151, qu’il éditait, pour l’article intitulé « L’histoire illustrée des drogues récréatives dans le sport ». J'ai fait une illustration pleine page du Dock Ellis défoncé au LSD. 

J'ai développé une amitié avec Isenberg, créé des t-shirts et fait quelques travaux commerciaux par le biais de son agence. Pendant ce temps, j'ai commencé à expérimenter avec une animation brute, lente et en gif, juste pour le plaisir. J’en ai montré à Isenberg, et il a pensé que ce serait un excellent moyen de raconter des histoires sur le sport que nous avions référencées sur des tee-shirts. 

Au cours de la recherche, on trouvé l'interview audio qui allait devenir l'épine dorsale de « Dock Ellis & The LSD No-No ». C'était un reportage radio fait par deux journalistes de Los Angeles, Donnell Alexander et Neille Ilel. Quatre mois d’animation plus tard, on le mettait sur youtube. 

Je l'ai fait pour No Mas, Chris Isenberg l’a financé de sa poche. Nous avions imaginé que ce serait une bonne carte de visite... Je ne pensais pas qu'il serait si bien reçu, mais surtout je ne pensais pas qu'il serait reconnu comme un petit "film". C'était juste un petit "truc" avant que Sundance n’appelle. La puissance de cette nomination a eu un impact sur moi...(rires), maintenant je suis un cinéaste! C'est assez ridicule, mais c'était incroyablement libérateur pour moi. Jusque-là, j'avais été aux prises avec l'identité d’"illustrateur", qui était assez insatisfaisant. C'est un carcan. 

Si nous nous libérons de restrictions, nous pouvons être des artistes. Cette année, je fais de l'animation, je contribue à des films. C'est une étape importante. Donc je veux dessiner, peindre, sculpter, écrire, prendre des photos, faire de la musique, faire des films. Je veux tout faire. Pas pour le plaisir d'être un touche-à-tout, mais par liberté créatrice. 

 

Quand on regarde ton art, on ne peut s'empêcher de remarquer l'importance des regards des personnages. Penses-tu que les informations que tu mets dans les yeux de chaque personnage sont la raison pour laquelle ton travail est dans autant d'éditoriaux? 

Oh, absolument! Les yeux parlent et les expressions en disent long. C'est pourquoi les dessins animés sont si efficaces à communiquer directement: les globes oculaires exagérée. J'utilise ce truc tout le temps dans mes dessins... Ca fonctionne bien sur papier, aussi. C'est presque trop facile de raconter une histoire à travers l'expression du visage, c'est une béquille que j’utilise en illustration. Je devrais sans doute avoir honte de moi-même. 

Sur « Dock Ellis », tant de blagues sont juste des mouvements des yeux. Souvent, les yeux sont la seule chose qui se déplace dans un cadre. C’est étrange, je trouve ça très drôle, et c'est tout simple. 

 

Qui sont tes influences et peut-être des artistes que tu admires, ou dont tu étudie le travail? 

Oh man, il y en a eu d'innombrables. J'ai un appétit insatiable pour la stimulation, je suis constamment à la recherche de nouvelles sources d'inspiration. C’est facile aussi, en vivant dans l’époque de l'internet. Oh tu aimes untel? Voici 20 autres artistes dans son cercle, que tu peux rechercher. C'est l'Internet. C'est sans fin. Et à chaque découverte personnelle, par exemple d'un artiste ou un auteur, un film ou un mouvement particulier, tu peux retracer les personnes et les choses qui les ont influencées. C’est sans fin. 

La plupart de mes influences majeures ont été cinéastes. Je suis né en '82, quand j'étais gamin, il ya eu Tim Burton: « Pee Wee's Big Adventure » d’abord, puis «Beetlejuice», «Batman», «Edward Aux Mains d’Argent». C’est probablement Burton qui a ouvert les vannes. Il fut le premier que j’ai reconnu en tant qu’auteur, avant même que je sache ce qu'un auteur était... 

Une courte liste de favoris: John Waters, Alfred Hitchcock, Peter Bogdonavich, Billy Wilder, Roger Corman, Todd Solondz, Sam Raimi, George Romero, Samuel Peckinpah, David Lynch, Sidney Lumet, Jim Jarmusch, Abel Ferrara, Federico Fellini, Mel Brooks, Woody Allen, et bien sûr, Stanley Kubrick - Amy Heckerling, aussi. 

Putain, j’ai adoré «Look Who's Talking» quand j'étais petit. D'autres artistes qui ont eu une influence notable sur mes trucs à un moment ou un autre sont William Klein, J'aime Cheri Samba, Alice Neel, Shel Silverstein, Matt Greoning, Gary Panter, Jack Kirby, Robert Crumb, Charles Burchfield, Tanino Liberatore, Reid miles, Philip Guston, Max Ernst, Saul Steinberg, Pedro Bell, Ralph Bakshi, Fancis Bacon ... 

Il y a une école d'artistes ghanéens connus pour leurs affiches de cinéma peintes à la main qui ont eu une influence énorme, en particulier sur la façon dont je dessine. Dan Nyenkumah, Samuel K. Mensah, et Richard Atteh sont trois de mes favoris absolus. Mes contemporains favoris sont Raymond Pettibon, Trenton Doyle Hancock, Aurel Schmidt, Chris Ofili, Raqib Shaw... Je pense que je réagis assez facilement à ce que je considère comme étant du bon dessin intéressant. 

Puis il y a les influences musicales, que je vais t’épargner, parce que ça va être long. Je n’oublie pas les goûts de mes parents, et de ma sœur aussi, qui ont été importants dans l'élaboration de ma sensibilité. La musique qu'ils écoutaient, l’art auquel ils m'ont exposé. Mes amis ont influencé mon art aussi. Beaucoup d'entre eux sont des artistes, et nous sommes tous encore en développement. 

 

Vous avez récemment travaillé avec ESPN et Ice Cube sur la série de documentaires « 30 pour 30 ». Que pouvons-nous attendre de James Blagden dans un proche avenir? 

Plus de hip-hop, mec ... En ce moment, je travaille sur un autre documentaire en tant qu’animateur associé. Celui-ci est un film de Michael Rappaport à propos de A Tribe Called Quest. Il va y avoir une séquence d’ouverture animée, et quelques vignettes animées tout au long du film. Rappaport était disposé à me laisser plus de contrôle créatif quant à ma vision de l’animation et ou je la voulais dans le film, ce que j’ai vraiment apprécié - c'est devenu beaucoup plus important pour moi au cours de l'année écoulée. Je ne dis pas que je ne suis pas heureux de cette occasion de contribuer à ce type de projets, je suis juste conscient de la direction dans laquelle je veux aller. En fin de compte, je veux faire mes propres films. 

Dans le même esprit, j'ai établi un partenariat avec mon pote Chris Isenberg. Nous cherchons à développer une série de véritables contes d’animation à la «Dock». Nous allons resserrer notre emplacement, raffiner notre vision, discuter de collaborateurs possibles, en pensant aux histoires que nous voulons croquer. Il y a un tas de trucs que nous voulons faire ... 

 

C'est la partie « shout out » de l'article, Fais toi plaisir! 

Shout out à Massaër pour l'opportunité de me présenter ici. Shout out à ma famille et à mes amis pour l'amour éternel, le soutien et les encouragements. Shout out à mon épouse Alma pour tout ce qu'elle a fait pour moi – Tu es beaucoup plus patiente que je veux bien l’admettre. Shout out à tous ceux qui m'ont inspiré, et à tous ceux qui trouvent leur inspiration dans la vie.